Coup de Cœur

Dolce Agonia2    Proposé par Sylvie Cormier

« Dolce Agonia » de Nancy Huston

Un roman où le narrateur est peut être Dieu lui même… Le récit d’un repas de Thanksgiving organisé par un écrivain alcoolique qui a convié chez lui ses intimes et leurs conjoints, est entrecoupé, au rythme d’un chapitre sur deux par les considérations de Dieu sur les faits et gestes des douze personnages, et surtout sur la façon dont il le rejoindront, c’est à dire dont ils les fera mourir.
Le récit est à la fois foisonnant, plein de rebondissements dûs à l’alcool qui dés-inhibe des convives qui ne s’apprécient pas tous, et implacable, la fin annoncée de chacun nous donnant de sa vie une lecture différente.

Dieu lui même est surpris par certains comportement de ses créatures et s’amuse de leurs contorsions affectives. Ses propos ironiques et souvent cruels contrebalancent la tendresse de l’auteure  pour ses personnages dont elle analyse avec finesse l’existence et les états d’âme.

Une construction rigoureuse, qui peut rappeler celle d’une fugue de Bach, et l’écriture précise et fouillée de Nancy Houston nous font traverser ces vies en nous laissant  aux lèvres un sourire doux amer.

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Grand-Bouddha-Kamakura-Japon    Proposé par Odile Léguéré

 » SEIOBO est descendue sur terre  »
Il s’agit d’un livre paru en Hongrie en 2008 remarquablement traduit par Joëlle Dufeuilly et paru en avril 2018 aux éditions Cambourakis Làszlo Krasznahorkaï est né en 1954 (64 ans ) Titulaire du Man Booker Prize .
Sont envisagées des oeuvres réelles ou inventées : Kyoto , Venise , le Louvre
l’Alhambra , Florence , l’Acropole , le théâtre Nô ,les icônes russes .sous forme de 17 nouvelles organisées selon un plan savant. Les sujets semblent distincts , et ils le sont , mais tous convergent pour montrer que dans notre monde saccagé et destructeur, un choc esthétique est possible.En fait, la beauté ne disparaît jamais, c’est à nous de l’apercevoir. Ce livre est une expérience littéraire,mentale,physique et émotionnelle à la fois. Sa prose est somptueuse,ses phrases denses peuvent s’étendre sur plus de deux pages sans que le souffle en soit coupé, qu’on demande grâce , épuisée ou que la
compréhension en souffre . Non ! Sans emphase et fort d’une documentation particulièrement riche et éprouvée,technique ou historique il nous propose une vision énigmatique, souvent fantastique ou mystérieuse , à la fois sur la fragilité du BEAU et sur la façon inattendue de le trouver mais toujours en nous élevant vers le ravissement.
Pour Krasznahorkaï  »l’essence des choses nous échappe totalement mais la
Beauté étant incaptable , elle est le résultat d’un effort contre le chaos  ». »Cela suppose
une disponibilité, un regard et de la modestie.Il y a une distance infranchissable entre
l’homme faillible et la Beauté mais les humains ont une capacité à la reconnaître
parce qu’elle est inséparable de l’émotion  ».L’homme essaye par tous les moyens
d’expliquer le monde y compris par la mathématique et là aussi il est confronté à son
impuissance. Alors s’il y a une telle distance entre chacun de nous et la Beauté que
faire? renoncer à la penser mais agir, faire partie de la nature:faire silence,  »être
comme la pierre ou le ciel au-dessus de nous  »: contempler .
On ne comprend pas la Beauté ,on la rencontre, le plus souvent dans la solitude.
L’instant de grâce de ces épiphanies peut avoir lieu pour chacun de nous .
Krasznahorkaï sait comment capturer l’instant du miracle, celui où le regard s’arrête,
le temps d’un battement de cils pour l’émotion d’un instant sacré.
Emotion de l’instant sacré qui ne m’a pas quittée au point de ne pouvoir laisser ces
pages avant la 414 …la dernière .. car il nous dit aussi qu’il y en a , encore , parmi
nous , qui savent provoquer et accueillir l’émotion esthétique .
Je reste envoûtée car le masque Nô me regarde, telle peinture me fait signe et le
héron va s ‘envoler , je le sens.

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